Le Festival de Bayonne Arrive à Paris, printemps 2012
Publié le 2 Février 2012
Nous sommes heureux d’annoncer la première édition du Festival de cinéma de l’association Bayonne Arrive, qui aura lieu au printemps 2012.
Si nous créons ce festival, c’est pour sélectionner nos films et ceux de nos copains, et se concéder des prix après faible débat, condescendance, petits sourires, ainsi enfin nourrir nos CV d’une ligne auto-suceuse, à petites étoiles. Oui, nous avons des faiblesses égotiques cachées dans nos caleçons et strings panthère, ce qui nous vaut des montées alcooliques, des tentatives de travail en intérim, des écoutes suicidaires de petits cons à carte de producteur. Nous avons déjà beaucoup souffert quand nous ne sommes pas si vieux, ce qui laisse présager.
Il est temps de s’offrir des massages et de taper sur les jeunes.
Si nous créons ce festival, c’est par esprit prévoyant et sage, par souci d’investissement sur l’avenir, lançant telle une poudre traînée un appel à films. Les pétards du 14 juillet sont terrifiants jusqu’au jour où on les jette soi-même, soudain la sensation opère un revirement, mieux qu’une cocaïne triple, l’adrénaline de guerre avec réminiscences. Aahahahah ! Ca c’est de l’événement, ça donne envie de baiser !
Or un festival est d’abord un cocktail de clôture,
mis en place par ce qui lui précède.
Je vous parlerai donc de cette soirée dernière du festival, qui justifie tous les efforts, tournages compris, et cela afin d’éveiller les désirs participatifs du lecteur cinéaste.
5 jurys consultatifs seront constitués :
1 / Des assassins de prison, 2 / des enfants d’école, 3 / des retraités de maison, 4 / des salariés d’entreprise, 5 / des basques de France (le jury suprême)
Les prix seront remis par des personnalités du monde politique qui bénéficieront, dans ce lapse d’oreilles tendues, de cœurs battants, de vessies tractées, d’un espace de propagande merveilleux.
Bien sûr, les membres de Bayonne Arrive auront tout loisir de monter sur scène pour parler de leurs opinions morales, religieuses, de leur goût culinaire, etc.
Lorsqu’avant le sommeil nous sommes là, étendus sur nos moiteurs estivales, nous imaginons ces regards convergents, posés sur notre bouche physique, quelle jouissure, ce public étalé avec ses yeux ses visages gênés ses pelotes au ventre. Ca pique le corps entier.
A l’ouverture des petites enveloppes on rigolera franchement, on fera durer le temps, on invitera un syndicaliste à prendre la parole sur une grève dans une entreprise toulousaine, on organisera un débat sur la politique du maquillage dans le cinéma français contemporain, Thomas Lasbleiz racontera des blagues, enfin on donnera un concert d’électro minimaliste expérimentale improvisée militante.
Pendant toute la cérémonie qui sera excessivement longue (17h00 à 21h00), des serveurs traverseront sans s’arrêter la salle avec des plats de saucisson et de fromage, on se dit au début pas terrible le buffet, et puis leur vision distille dans l’ennui de la cérémonie des sensations torturantes.
C’est le moment pour aller aux toilettes, mais on reste là parce que personne ne nous dit où sont les toilettes et il faudrait pas manquer la remise de prix, c’est comme ça, plus on attend plus on se trouve obligé d’attendre, dans l’espoir que l’attente prenne un sens rétrospectif, pourtant l’ennui comme chaque sentiment véritable occupe lorsqu’il se manifeste le temps entier, l’infini.
A ce moment précis le silence se fait, et dans le noir comme on mitraillerait sont projetées des images subliminales de saucisson et ce texte : « Donnez nous de l’argent, financez nos films, taisez vous ». C’est un véritable attentat des esprits manipulés.
Puis « Bayonne Arrive » apparaît en rouge sur noir ce qui fait intimidant, avec des bruits de truies agressives qui ont faim et qui ont des petits.
Ceci étant projeté, tout le monde se tient bien.
Laurent Jarrige monte sur scène et regarde le public, il dit :
« Moi je suis basque ».
On se souvient des vacances à Dax sans foulard rouge, des hordes de jeunes agressifs avec leurs gros visages et leurs gadgets pour distribuer l’alcool de force dans les rues pleines de pisse de vomi et de caca à la charcuterie de porc.
C’est un cauchemar terrible surtout pour les musulmans, les juifs, les végétariens, les sans alcools qui sont immédiatement repérés, harcelés, on insère des tuyaux de casquette à alcool dans leur bouche, des gros garçons les serrent dans leurs bras de faux frère, une main au cul et des propositions de saucisse, pendant que le rhum atroce s’insinue dans la gorge, les basques crient ouaih !!!! une horde vomissante disparaît qui rencontre une autre horde, qui crie OUAIH !!! en vomissant, en brandissant des casquettes à whisky coca.
Le public a oublié la torture de son estomac affamé.
Laurent Jarrige répète :
« Moi je suis basque, je viens de Bayonne, je suis arrivé ici. »
La salle est silencieuse, les gens ont peur.
Laurent Jarrige brandit l’enveloppe rouge contenant le nom du premier prix, élu par le jury constitué de Basques arrivés à Paris, c’est un jury régionaliste, ils font un discours en basque, Laurent Jarrige le traduit en langage des signes, tout le monde comprend, à cause du cinéma, qui est un art visuel.
Le jury explique qu’il a vraiment été touché par le documentaire de David Pujol sur la saucisse de porc au foie gras d’Angoulême – SOUDAIN LE PUBLIC SE SOUVIENT QU’IL A FAIM - mais qu’il a préféré distinguer un film moins séduisant de prime abord mais extrêmement sensible, ouvert sur l’international, avec un intérêt pédagogique pour nos écoles, on peut tout à fait imaginer le projeter aux enfants, c’est vraiment intéressant ça ah oui, ça concerne tout le monde hein, et puis cette qualité de l’image, c’est vraiment bien filmé, hein, un film sur le micro-crédit des banques au Bangladesh, comme quoi on peut être chef d’entreprise et être un vrai humain quoi, ça donne de l’espoir pour la terre.
Le directeur de la communication de l’agence Paris 20ème de la BNP Paribas monte sur scène pour recevoir le prix, Laurent Jarrige lui tend un trophée en forme de jambon, le dir de com de la BNP est tout luisant s’avançant, au dernier moment Laurent Jarrige retire le jambon des mains du dir de com et le jette à la salle affamée.
Pendant ce temps David Pujol, qui a fait venir d’Angoulême toute sa famille pour faire la promotion de son film distribue des rondelles de saucisse de porc au foie gras.
Le jury des basques, aligné sur scène avec le dir de com de la BNP qui ne sait pas comment sourire mais qui reste sur l’estrade à cause des photographes qui mitraillent, regarde le public faire mouvement vers la distribution de saucisse. De la salle monte une rumeur de grognements, de trépignements, de sucions, d’écrasements, d’essuyages de doigts sur les sièges, de coups de coudes, de crachages des petits morceaux de tendons qu’il y a dans les saucisses et qu’on n’a pas envie d’avaler.
S’inspirant pour le magnifier du bruit d’ambiance, Laurent Jarrige commence une improvisation vocale, pendant qu’est diffusée sur l’écran une image de sandwich kebab sauce samouraï.
Devant l’image géante et tapageuse du kebab, le jury des basques panique, le plus vieux sort de sa poche un morceau de chorizo leader price. Le public aboie.
Pendant que les Pujols prennent l’estrade d’assaut, le dir de com de la BNP tente une éclipse discrète, se demandant comment il doit sourire, et tombe sur un étudiant en commerce de la Fémis qui lui propose de financer un film engagé sur un rocker bisexuel dans les quartiers chauds de Montmartre, le dir de com de la BNP se demande comment sourire, trop tard l’étudiant lui présente l’actrice qu’il baise parce qu’elle ressemble à Amélie Poulain en plus chaudasse, elle lui met la main dans le slip en susurrant des marques de pâté de foie, le dir de com oublie tout à coup qu’il doit sourire, clac, l’étudiant prend la photo, ricane et disparaît dans la foule en espérant récupérer une rondelle de saucisse de porc.
Les Pujols sur la scène font la nique aux vieux basques avec de grands couteaux, tout ce rouge rappelle la feria, les taureaux, Picasso, la guerre d’Espagne, la lâcheté, on n’a plus trop envie d’en parler on aimerait le buffet qui s’ouvre sur des empilades de pots de rillettes, de knackis chaudes, de tranches de poulet reconstitué halal, de chips parfum bolognaise, sur des montagnes de cubis de rosé, de mousseux allemand et de chocolat aux corn flakes.
Alors, dans un grand moment de cinéma, dominant l’orgie générale des charcuteries, on prononce le discours de réconciliation,
« Tout était faux, ces basques n’étaient pas basques. »
Lorsque, soulagé d’une culpabilité de lendemain, le public s’entrebaise, vautré dans les mayonnaises intestines, nous nous regardons avec cette certitude, que tout est bien.
Mathilde Nègre
Paris, le 17 juillet 2011
Pour la revue N°3 de l’association Bayonne Arrive